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publiée 12.2025

Interprétation de l’article 1711-8, para. 3, point 3° de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales dans le cas particulier des sociétés opérant dans le secteur de l’investissement alternatif


Contexte :

L’article 1711-8, para. 3, point 3° de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales (ci-après « LSC ») dispose comme suit : « En outre, une entreprise peut être laissée en dehors de la consolidation lorsque : (…) les actions ou parts de cette entreprise sont détenues exclusivement en vue de leur cession ultérieure ».

Cette disposition, lorsqu’elle était encore numérotée article 317, para. 3, point c) LSC, a donné lieu à l’émission par la CNC, le 18 décembre 2009, de l’avis CNC 2-1 renuméroté ultérieurement avis CNC 09/002.

Par cet avis, la CNC visait à fixer les modalités complémentaires d’application de la disposition susvisée par les sociétés d’investissement en capital à risque (venture capital / private equity) n’ayant pas le statut de SICAR au sens de la loi modifiée du 15 juin 2004 relative à la société d’investissement en capital à risque.

Le champ d’application de cet avis était circonscrit aux sociétés de droit luxembourgeois détenues par un ou plusieurs investisseurs avertis et dont l’objet exclusif était le placement de leurs fonds en une ou plusieurs valeurs représentatives de capital à risque (ci-après « placement ») qui se définit comme l’apport de fonds direct ou indirect à une ou plusieurs entités en vue du lancement, du développement ou de l‘introduction en bourse de cette ou de ces entités, ce ou ces placements étant détenus par la société avec l’intention de le ou de les revendre avec une plus-value.

L’avis fixait ensuite quatre conditions à remplir cumulativement par ces sociétés pour faire usage de la disposition susvisée dont l’application à toutes les filiales pouvaient de facto résulter en une exemption de consolidation, faute de périmètre de consolidation.

Il est apparu depuis lors que la mise en œuvre de cet avis a suscité des difficultés d’interprétation et d’application.

Par ailleurs, de nouveaux éléments à prendre en considération sont aussi survenus.

Ainsi, la norme IFRS 10 « Consolidated Financial Statements » a été émise en mai 2011 par l’IASB et est entrée en vigueur dans l’Union Européenne le 1er janvier 2014. Cette norme prévoit une interdiction de consolidation – et non une exemption – pour les entités d’investissement qu’elle définit, qu’elle aide à déterminer et dont elle décrit les caractéristiques typiques.

Enfin, l’article 1711-9, point 2° LSC – tel qu’introduit dans cette loi par la loi du 18 décembre 2015 visant à transposer la directive comptable 2013/34/UE1 du 26 juin 2013 – dispose comme suit : « (…) toute entreprise mère (…) est exemptée de l’obligation imposée à l’article 1711-1 [NDA : obligation d’établir des comptes consolidés et un rapport consolidé de gestion] si : (…) 2° toutes ses entreprises filiales peuvent être exclues de la consolidation en vertu de l’article 1711-82 ». Il en résulte qu’une entreprise mère dont toutes les entreprises filiales peuvent faire l’objet d’une exclusion du périmètre de consolidation, bénéficie en pratique – et légalement désormais – d’une exemption de l’obligation d’établir des comptes consolidés et un rapport consolidé de gestion.

Au regard de ce qui précède, la CNC a considéré qu’il y avait lieu de formuler des recommandations relativement à l’interprétation à donner à l’article 1711-8, para. 3, point 3 LSC dans le cas particulier des sociétés opérant dans le secteur de l’investissement alternatif et de procéder au retrait de l’avis CNC 09/002.

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Questions / Réponses :

Interprétation de l’article 1711-8, para. 3, point 3° LSC

Périmètre des sociétés visées par le présent Q&A

Le cas sous revue est celui d’une société mère dont l’activité exclusive3 consiste dans (i) l’obtention de fonds auprès d’investisseurs avertis4 au sens de l’article 2 de la loi du 15 juin 2004 concernant la SICAR, dans le but de fournir à ces investisseurs des services de gestion d’investissement ; (ii) et le placement de ces fonds uniquement pour des rendements provenant de l’appréciation du capital à la suite de la revente de ces placements, ainsi que des revenus de placement.

À noter que cette activité ne s’oppose pas à la détention par la société mère d’entreprises filiales dont l’objet et l’activité consistent dans la fourniture de services liés aux activités d’investissement, services prestés entre autres à la société mère5.

Sont en revanche expressément exclues les sociétés qui prennent des participations dans d’autres entreprises dans l’objectif d’exercer une activité commerciale ou industrielle ou pour lesquelles ces participations représentent des investissements stratégiques détenus sans terme déterminé.

En substance, le périmètre des sociétés visées par le présent Q&A couvre le périmètre des entreprises visées par l’avis CNC 09/002, à savoir principalement les véhicules actifs dans les secteurs du private equity et du venture capital ainsi que plus généralement de l’investissement alternatif au sens large.

À cet égard, il est précisé que par « investissement alternatif », on entend le placement dans des actifs ou des stratégies d’investissement non conventionnels, souvent moins liquides, plus complexes et présentant un profil de risque / rendement différent des marchés financiers classiques. Les principales formes d’investissements alternatifs incluent :

  • le capital-investissement ou « private equity » ;
  • le capital-risque ou « venture capital » ;
  • l’immobilier ou « real estate »6 ;
  • les infrastructures ;
  • les prêts privés à des entreprises ou « private debt » ;
  • d’autres stratégies spéculatives7.

On notera par ailleurs utilement que ce type d’entreprises partage généralement des caractéristiques communes avec les « entités d’investissement »8 telles que définies par la norme IFRS 10 « États Financiers consolidés ».

Application de l’exclusion / exemption pour les sociétés visées

La CNC est d’avis que, afin de pouvoir valablement invoquer l’exclusion du périmètre de consolidation visée à l’article 1711-8, para. 3, point 3° LSC et ainsi mener à l’exemption de l’obligation d’établir et de publier des comptes consolidés visée à l’article 1711-9, point 2° LSC, il doit être satisfait à l’ensemble des conditions suivantes :

  1. Existence d’une stratégie de désengagement ab initio (point 1.2.1.) ;
  2. Exclusion de l’ensemble des entreprises filiales détenues en vue de leur revente (point 1.2.2.) ;
  3. Mention en annexe de la juste valeur des entreprises détenues en vue de leur revente (point 1.2.3.) ;
  4. Mention en annexe des évènements, garanties et/ou incertitudes significatifs (point 1.2.4.).
    Ces conditions sont explicitées ci-après.

Existence d’une stratégie de désengagement ab initio

L’intention réelle et sérieuse de céder l’entreprise filiale avec une plus-value existe dès la date d’acquisition. Ceci implique l’existence ab initio d’une stratégie de désengagement documentée (formellement / par écrit) au terme d’une période de détention déterminée.

Cette période de détention peut être définie sur base de la réalisation d’un objectif précis (p.ex. : une introduction en bourse), de la réalisation d’objectifs financiers déterminés ou bien encore sur base d’un cycle d’investissement défini par la société mère.

À noter que ni la LSC, ni la directive comptable 2013/34/UE ne fixent une période maximale de détention au-delà de laquelle l’application de la disposition devrait être considérée comme abusive. La CNC estime néanmoins que, en pratique, il est raisonnable d’estimer que les sociétés mères appliquant cette ou ces exclusion(s) du périmètre de consolidation n’anticiperont qu’exceptionnellement de conserver leurs encours plus de 10 ans9 et jamais plus de 15 ans ; une détention supérieure à 10 ans pouvant néanmoins se justifier par des conditions exceptionnelles de marché.

L’organe d’administration ou de gestion de la société mère revoit périodiquement – et lorsqu’un évènement majeur remet en cause l’analyse passée – les stratégies de désengagement de tous ses investissements

Exclusion de l’ensemble des entreprises filiales détenues en vue de leur revente

L’exclusion des entreprises filiales visée à l’article 1711-8, para. 3, point 3° LSC doit pouvoir être valablement appliquée et, en pratique, être appliquée à l’ensemble des participations détenues par la société mère (sauf – le cas échéant – à des entreprises filiales prestant des services d’investissement entre autres à la société mère10).

Dans la mesure ou l’article 1711-8, para. 3, point 3° LSC peut aboutir à une dispense de l’obligation pour la société mère d’établir des comptes consolidés et un rapport consolidé de gestion en application de l’article 1711- 9, point 2° LSC, la CNC souligne l’importance de ne pas l’appliquer de manière abusive.

Il s’agit là en effet d’une décision délicate qui doit reposer sur une analyse sérieuse et documentée basée sur des éléments factuels et circonstanciés et partant à justifier soigneusement. Elle ne peut se concevoir que s’il existe une volonté affirmée, permanente et dûment documentée de céder ces filiales sur la base d’une stratégie de sortie s’articulant sur un horizon déterminé.

Mention en annexe de la juste valeur des entreprises détenues en vue de leur revente

La CNC est amenée à penser que c’est en raison du fait que la juste valeur est considérée par ces sociétés mères comme un instrument de reporting plus pertinent vis-à-vis de leurs investisseurs et autres parties intéressées que les comptes consolidés, que ces sociétés mères souhaitent renoncer à l’établissement de ces derniers, la juste valeur étant simultanément utilisée par ces sociétés mères tant au moment de l’investissement qu’à des fins de gestion du portefeuille de participations.

C’est la raison pour laquelle la CNC est d’avis que l’article 26, para. 411 de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises (ci-après « LRCS ») requiert de ces sociétés, qu’à défaut de pouvoir évaluer leurs investissements à la juste valeur dans leur bilan12, elles renseignent cette juste valeur dans l’annexe de leurs comptes annuels, afin d’atteindre l’objectif d’image fidèle et de fournir une information pertinente aux utilisateurs des comptes.

Il est préconisé, dans un souci de de fiabilité, de déterminer la juste valeur par référence aux approches, modèles et techniques généralement admis (p.ex. : lignes directrices d’évaluation de l’IPEV13).

Dans une perspective de pertinence, cette information sur la juste valeur pourrait être donnée de façon globale pour chaque catégorie d’investissements14

Mention en annexe des évènements, garanties et/ou incertitudes significatifs

La CNC recommande également aux sociétés visées par le présent Q&A de fournir en annexe des comptes annuels une information sur tous les évènements, garanties et/ou incertitudes significatifs au niveau d’une entreprise filiale qui pourraient avoir un impact sur la continuité d’exploitation, sur la situation de trésorerie, sur la liquidité ou sur la solvabilité de la société mère.

Structures en cascade et report de l’exclusion / exemption

La CNC est également d’avis que toute société de droit luxembourgeois contrôlée exclusivement par une société opérant dans le secteur de l’investissement alternatif telle que visée ci-dessus peut également invoquer les articles 1711-8, para. 3, point 3° LSC et 1711-9, point 2° LSC précités moyennant le respect des conditions énumérées aux paragraphes de la section 1.2.1. à 1.2.4. ci-dessus dans le chef de sa société mère et sous réserve que les actionnaires ou associés de ladite société, titulaires d’actions ou de parts du capital souscrit de cette société à raison d’au moins 10%, si la société exemptée est une société anonyme ou une société en commandite par actions, et d’au moins 20 pour cent si elle est une société à responsabilité limitée ou une autre forme sociale, n’aient pas demandé l’établissement de comptes consolidés au plus tard six mois avant la fin de l’exercice. En outre, il est précisé qu’en pareil cas, la société ne peut pas invoquer l’une des exemptions de consolidation applicables aux sous-groupes (art. 1711-5 LSC, 1711-6 LSC et 1711-7 LSC) au titre de son inclusion / présentation à la juste valeur dans les comptes annuels de sa société mère15.

Date d’application

Ce Q&A s’applique pour tout exercice ouvert pour lequel le délai légal de dépôt des comptes annuels auprès du registre de commerce et des sociétés (RCS) n’est pas encore échu.

Retrait de l’avis CNC 09/002

L’avis CNC 09/002 est retiré.


Avertissement
Les « questions / réponses » publiées par la Commission des normes comptables (CNC) :

  • sont de nature générale et ne visent pas la situation particulière d’une personne physique ou morale ;
  • visent à contribuer au développement d’une doctrine comptable en application de l’article 73, point b) de la loi
    modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les
    comptes annuels des entreprises ;
  • ne représentent que l’avis du GIE CNC sur un certain nombre de questions à caractère doctrinal et interprétatif ;
  • ne préjugent pas des impacts fiscaux qui peuvent découler des traitements comptables mentionnés.

Les organes d’administration ou de gestion des entreprises demeurent responsables conformément au droit commun de toute décision prise sur base du présent document.


1 Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil

2 A noter qu’aux termes de l’article 1711-8 LSC, l’exclusion d’une filiale du périmètre de consolidation peut résulter non seulement de la détention exclusive en vue de la revente ultérieure mais également du caractère non significatif de l’entreprise filiale, de restrictions sévères et durables dans l’exercice du contrôle par la société mère ou encore de l’incapacité à obtenir les informations nécessaires de l’entreprise filiale sans frais disproportionnés ou sans délai injustifié

3 La CNC est d’avis que cette activité effective devrait correspondre à l’objet social de la société ou ne pas être incompatible voire en contradiction avec celui-ci.

4 Au sens de l’article 2, alinéa 1er de la loi du 15 juin 2004 relative à la Société d’investissement en capital à risque (SICAR) :
« Est investisseur averti au sens de la présente loi l’investisseur institutionnel, l’investisseur professionnel au sens de l’annexe II de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE, ci-après « directive 2014/65/UE », ainsi que tout autre investisseur qui répond aux conditions suivantes :

1) il a déclaré par écrit son adhésion au statut d’investisseur averti et
2) il investit un minimum de 100.000 euros dans la société, ou
3) il bénéficie d’une appréciation, de la part d’un établissement de crédit au sens du règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012, d’une entreprise d’investissement au sens de la directive 2014/65/UE, d’une société de gestion au sens de la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou d’un gestionnaire de fonds d’investissement alternatifs autorisé au sens de la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 1095/2010, ci-après « directive 2011/61/UE », certifiant son expertise, son
expérience et sa connaissance pour apprécier de manière adéquate le placement effectué dans la SICAR ».

5 À noter qu’à défaut de bénéficier d’une cause d’exclusion (p.ex. : caractère non significatif), ces entreprises filiales de services devraient être consolidées par la société mère contrairement aux entreprises filiales qui sont détenues exclusivement en vue de leur cession ultérieure

6 Ne sont pas considérés comme relevant de l’investissement alternatif, les placements immobiliers effectués à long terme principalement pour collecter des revenus locatifs récurrents.

7 Les autres stratégies spéculatives portent notamment sur les actifs numériques (« Crypto-assets / Digital funds »), les matière premières (« commodities »), les œuvres d’art ou encore le vin.

8 En application de la norme IFRS 10, une entité d’investissement est une entité qui :
a) obtient des fonds d’un ou de plusieurs investisseurs en vue de leur fournir des services de gestion d’investissements ;
b) s’engage auprès de ses investisseurs à ce que l’objet de son activité soit d’investir des fonds dans le seul but de réaliser des rendements sous forme de plus-values en capital et/ou de revenus d’investissement et
c) évalue et apprécie la performance de la quasi-totalité de ses investissements sur la base de la juste valeur.

9 Les durées de détention doivent être dûment documentées et justifiées dans les stratégies de désengagement décrites ci-dessus.

10 Cf. : développements sous le point 1.1. et en note de bas de page 5

11 L’article 26, para. 4 LRCS dispose que :
« (4) Lorsque l’application des dispositions ci-après prévues ne suffit pas pour donner l’image fidèle visée au paragraphe (3), des informations complémentaires doivent être fournies ».

12 L’article 64bis, para. 4, point c) LRCS dispose que :
« (4) Ne peuvent être évalués à la juste valeur : (…)
d) Les intérêts détenus dans des filiales, des entreprises associées et des coentreprises (…) ».

13 International Private Equity and Venture Capital (IPEV)

14 La présentation en annexe des comptes annuels de l’information relative à la juste valeur ne dispense pas de mentionner en outre l’information requise à l’article 65, para. 1er, point 2° LRCS tel qu’interprété par le Q&A CNC 17/015 intitulé « Mention en annexe des comptes annuels des participations détenues (art. 65 (1) 2° LRCS) et exception au principe de dispense des petites entreprises (art. 66 LRCS) ».

15 Cf. : Q&A CNC 15/006 « Filiales d’entités d’investissement (IFRS 10 § 27) et maintien des exemptions de consolidation des sous-groupes (art. 314, 315 et 316 LSC) »