A l’image de la directive comptable 2013/34/UE1, le régime LUX GAAP apparaît lacunaire en ce qui concerne la comptabilisation des produits. Le régime LUX GAAP se borne en effet à ériger à l’article 51 para. 1er point c) aa) LRCS, le principe de réalisation des bénéfices en tant qu’application du principe de prudence :
« Art. 51 (1) c) Le principe de prudence doit en tout cas être observé et notamment :
aa) seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent y être inscrits ; »
Suivant ce principe de réalisation, un produit est généralement comptabilisé lorsqu’il est acquis, c’est-à-dire lorsqu’il est certain dans son principe.
Parallèlement, il est précisé à l’article 51 para. 1er point d) que les produits sont comptabilisés dans l’exercice auquel ils se rapportent sans considération de leur date d’encaissement :
« Art. 51 (1) d) Il doit être tenu compte des charges et des produits afférents à l’exercice auquel les comptes se rapportent, sans considération de la date de paiement ou d’encaissement de ces charges ou produits ; »
Il doit être déduit de ce principe d’indépendance des exercices que la comptabilisation d’un produit a généralement lieu dans l’exercice auquel celui-ci se rapporte et que cette comptabilisation ne saurait être indûment différée au seul titre que le produit n’a pas encore été encaissé par l’entreprise.
Compte tenu du caractère très général de ces dispositions, il revient à l’organe d’administration ou de gestion de l’entreprise concernée de déterminer le traitement comptable des produits dans des cas spéciaux et non couverts par les textes tels que les ventes assorties d’une condition suspensive et les ventes donnant lieu à mise sous séquestre d’une partie du prix de cession.
Dans le silence des textes et considérant le caractère spécifique de chaque contrat, le présent Q&A a pour objet de fournir des éléments de réflexion visant à assister les organes d’administration ou de gestion dans la détermination du traitement comptable des produits en relation avec des ventes assorties d’une condition suspensive (point 1) et des ventes donnant lieu à mise sous séquestre d’une partie du prix de cession (point 2).
Un exemple illustratif est également proposé en annexe du présent Q&A.
Au sein du présent Q&A, il est proposé de fournir des éléments de réponse aux questions suivantes :
En pratique, il existe de nombreuses situations où les ventes sont réalisées sous condition et notamment sous condition suspensive. Tel est le cas d’opérations de cession de participations qui sont conclues sous condition d’approbation ou d’absence d’opposition par les autorités compétentes (p.ex. : en matière de concurrence).Tel est également le cas, par exemple, d’une vente d’immeuble dont le compromis – qui consigne généralement l’accord des parties sur la chose et sur le prix2 – est conclu sous la condition suspensive de l’obtention par l’acheteur d’un crédit hypothécaire.
En pareils cas, conformément aux dispositions du Code civil (art.11813 et 11824), la vente n’est pas effective et le produit ne peut pas être comptabilisé tant que la condition suspensive n’est pas réalisée.
Ce n’est que si, de l’avis de l’organe d’administration ou de gestion de l’entreprise concernée, la réalisation de la condition est certaine et que la transaction ne présente dès lors pas un caractère conditionnel que le produit de la vente pourrait être comptabilisé avant la réalisation formelle de cette condition.
Tel serait notamment le cas lorsque l’autorisation administrative ne constitue qu’une formalité (compétence liée), l’entreprise étant certaine d’obtenir l’approbation dès lors qu’elle répond à toutes les exigences légales et réglementaires.
Tel serait également le cas lorsque l’obtention du crédit hypothécaire par l’acheteur est certaine, pour autant bien évidemment que les parties n’aient pas convenu de différer le moment du transfert de propriété ainsi que les risques afférents à l’immeuble, à une date ultérieure à celle du compromis de vente5. Dans ce dernier cas, le produit de la vente ne pourrait être comptabilisé qu’à cette date ultérieure.
En pratique et fréquemment en présence de conditions suspensives, il arrive que la vente d’un actif soit réalisée pour un prix donné [P] dont seule une partie est versée au vendeur [P – S], le reste étant mis sous séquestre [S]. En pareils cas, se pose la question de la prise en compte dans les résultats du vendeur du montant correspondant à la mise sous séquestre [S].
A cet égard, il importe de relever que la mise sous séquestre reflète généralement une incertitude plus ou moins significative face à laquelle l’acheteur tente de se prémunir. Cette incertitude ne remet pas en cause la transaction dans son principe mais est de nature à influencer le prix de cession définitif du bien ayant fait l’objet de la transaction.
Dans ce contexte, il revient à l’organe d’administration ou de gestion d’analyser les conditions de libération du séquestre et d’apprécier le degré d’incertitude lié à la libération de celui-ci. Tant que l’incertitude subsiste et que le degré d’incertitude apparaît significatif, le produit correspondant au montant du prix de cession mis sous séquestre ne peut pas être comptabilisé. A l’inverse, lorsque l’organe d’administration est d’avis que la libération du séquestre est acquise dans son principe, le montant correspondant peut alors être comptabilisé en produits en amont de l’encaissement (libération) de celui-ci.
Une telle situation pourra se présenter, par exemple, lors d’une cession d’une participation dont les clauses contractuelles prévoiraient que le prix de vente soit revu à la baisse (p.ex. : à hauteur du montant du séquestre) en cas de réalisation d’une condition (p.ex. : survenance d’un litige avec l’administration fiscale ou départ d’une personne clé) endéans un délai déterminé. En fonction de l’appréciation du degré d’incertitude par l’organe d’administration ou de gestion, la comptabilisation en produit du montant mis sous séquestre pourra ou non se justifier suivant les cas.
Un exemple illustratif est proposé en annexe au présent Q&A.
Dans le silence des textes, la CNC est d’avis qu’il revient aux organes d’administration ou de gestion des entreprises de déterminer les effets comptables liés à l’existence d’une condition suspensive et/ou d’une mise sous séquestre. Dans ce cadre, le principe de prudence (art. 51 para 1 point c) LRCS) doit être adéquatement pris en considération de même que l’objectif d’image fidèle (art. 26 para. 3 LRCS). Par ailleurs, il est rappelé que l’article 65 para. 1er point 7bis°) LRCS requiert que soient mentionnés en annexe « la nature et l’objectif commercial des opérations non inscrites au bilan, ainsi que l’impact financier de ces opérations sur l’entreprise, à condition que les risques ou les avantages découlant de ces opérations soient significatifs et dans la mesure où la divulgation de ces risques ou avantages est nécessaire pour l’appréciation de la situation financière de l’entreprise ».
Avertissement
Les « questions / réponses » publiées par la Commission des normes comptables (CNC) :
Les organes d’administration ou de gestion des entreprises demeurent responsables conformément au droit commun de toute décision prise sur base du présent document.
Exemple illustratif :
L’entreprise ABC a acquis une participation dans l’entreprise 123 pour un montant de EUR 60 millions durant l’exercice N-1.
Conformément aux politiques comptables de l’entreprise ABC qui établit ses comptes annuels suivant le régime LUX GAAP, les titres dans l’entreprise 123 sont évalués au plus bas du coût d’acquisition ou de la valeur inférieure en cas de dépréciation durable (art. 55 LRCS). Ainsi, au 31 décembre N-1 et au 31 décembre N, les titres de participation demeurent évalués au bilan de l’entreprise ABC pour leur coût d’acquisition de EUR 60 millions, l’organe d’administration de l’entreprise ABC étant d’avis que la participation dans l’entreprise 123 s’est sensiblement appréciée depuis son acquisition et qu’aucune dépréciation durable n’est à constater.
Au 30 septembre N+1, l’entreprise ABC conclut un contrat de vente avec l’acquéreur XYZ portant sur la totalité de sa participation dans l’entreprise 123. La cession est conclue pour un prix de vente total de EUR 75 millions [P] dont un montant de EUR 10 millions [S] est mis sur un compte de séquestre et qui fera l’objet, le cas échéant, d’une libération au plus tard dans 5 ans6. Le montant de EUR 65 millions [P – S] est, quant à lui, versé le jour de la vente par l’acquéreur XYZ sur le compte bancaire du vendeur ABC.
Suivant les termes du contrat, il est prévu que le montant mis sous séquestre soit destiné à couvrir la survenance éventuelle de litiges fiscaux qui apparaîtraient au niveau de l’entreprise 123 postérieurement à la date de sa cession mais qui seraient relatifs à des périodes antérieures, à savoir aux exercices N-1 et N qui n’ont pas encore fait l’objet d’une imposition au jour de la cession. Dans ce cadre, il est prévu que le montant mis sous séquestre soit libéré lors de l’émission des bulletins d’imposition, le cas échéant après déduction du montant d’un éventuel redressement fiscal.
Il est précisé que la garantie accordée par le cédant ABC à l’acheteur XYZ a pour plafond le montant de EUR 10 millions mis sous séquestre, un redressement supérieur à ce montant étant hautement improbable. De même, il est indiqué que le montant mis sous séquestre sera libéré au plus tard le 30 septembre N+5, date à laquelle la garantie du vendeur prendra fin.
Problématique :
Lors de l’établissement des comptes annuels de l’entreprise ABC pour l’exercice clos au 31 décembre N+1, pour quel montant la plus-value sur la cession de sa participation dans l’entreprise 123 doit-elle être comptabilisée au vu du montant mis sous séquestre et de l’incertitude y relative ?
Scénarios :
Afin de répondre à la question ci-avant, trois scénarios distincts sont identifiés, à savoir :
Propositions :
En fonction du scénario retenu, le montant de la plus-value de cession à comptabiliser par l’entreprise ABC dans ses comptes annuels de l’exercice N+1 différera sensiblement tel qu’exposé ci-après.
En application du scénario 1, il ressort que l’organe d’administration devrait calculer la plus-value en déduisant le coût d’acquisition de EUR 60 millions du montant certain du prix de cession, à savoir EUR 65 millions (EUR 75 millions moins EUR 10 millions) soit une plus-value de cession de EUR 5 millions au titre de l’exercice N+17.
En effet, considérant l’évaluation du risque fiscal à un montant de EUR 10 millions correspondant au montant mis sous séquestre, il paraîtrait contraire au principe de prudence et de réalisation des bénéfices (article 51 para. 1er point c) LRCS) de tenir compte de ce montant dans la détermination de la plus-value de cession de l’exercice N+1.
En pareil cas, il devra être fait mention en annexe de la plus-value de cession et de ses modalités de calcul ainsi que des droits et engagements hors bilan associés à cette transaction (art. 65 paragraphe 1er points 7° et 7bis° LRCS).
En application du scénario 2, il ressort que l’organe d’administration devrait calculer la plus-value en déduisant le coût d’acquisition de EUR 60 millions du montant quasi-certain du prix de cession, à savoir EUR 75 millions soit une plus-value de cession de EUR 15 millions au titre de l’exercice N+18.
En effet, considérant que le montant sous séquestre constitue essentiellement un différé de paiement destiné à rassurer l’acquéreur mais ne correspondant ni à un risque probable ni même à un risque éventuel, il paraîtrait contraire au principe de rattachement des charges et produits de l’exercice (article 51 para. 1er point d) LRCS) de ne pas tenir compte de ce montant dans la détermination de la plus-value de cession de l’exercice N+1.
En pareil cas, il devra être fait mention en annexe de la plus-value de cession et de ses modalités de calcul ainsi que des droits et engagements hors bilan associés à cette transaction (art. 65 paragraphe 1er points 7° et 7bis° LRCS).
En application du scénario 3, il ressort que l’organe d’administration devrait calculer la plus-value en déduisant le coût d’acquisition de EUR 60 millions du montant quasi-certain du prix de cession, à savoir EUR 71,5 millions (EUR 75 millions moins EUR 3,5 millions) soit une plus-value de cession de EUR 11,5 millions au titre de l’exercice N+19.
En effet, considérant l’évaluation du risque fiscal à un montant de EUR 3,5 millions, il paraîtrait contraire au principe de prudence et de réalisation des bénéfices (article 51 para. 1er point c) LRCS) de tenir compte de ce montant dans la détermination de la plus-value de cession de l’exercice N+1. En outre, considérant que le montant excédentaire de EUR 6,5 millions mis sous séquestre (EUR 10 millions moins EUR 3,5 millions) constitue essentiellement un différé de paiement destiné à rassurer l’acquéreur mais ne correspondant ni à un risque probable ni même à un risque éventuel, il paraîtrait contraire au principe de rattachement des charges et produits de l’exercice (article 51 para. 1er point d) LRCS) de ne pas tenir compte de ce montant dans la détermination de la plus-value de cession de l’exercice N+1.
En pareil cas, il devra être fait mention en annexe de la plus-value de cession et de ses modalités de calcul ainsi que des droits et engagements hors bilan associés à cette transaction (art. 65 paragraphe 1er points 7° et 7bis° LRCS).
1 Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil.
2 Avec pour conséquence que la vente est parfaite au sens de l’article 1583 du Code civil.
Art. 1583 du Code civil :
« Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».
3 Art. 1181 du Code civil : « L’obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties.
Dans le premier cas, l’obligation ne peut être exécutée qu’après l’événement.
Dans le second cas, l’obligation a son effet du jour où elle a été contractée ».
4 Art. 1182 du Code civil : « Lorsque l’obligation a été contractée sous une condition suspensive, la chose qui fait la matière de la convention demeure aux risques du débiteur qui ne s’est obligé de la livrer que dans le cas de l’événement de la condition.
Si la chose est entièrement périe sans la faute du débiteur, l’obligation est éteinte.
Si la chose s’est détériorée sans la faute du débiteur, le créancier a le choix ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état où elle se trouve, sans diminution du prix.
Si la chose s’est détériorée par la faute du débiteur, le créancier a le droit ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état où elle se trouve, avec des dommages et intérêts ».
5 Par exemple, à la date du closing de la transaction ou à la date de la passation de l’acte authentique.
6 Il revient, le cas échéant, à l’organe d’administration ou de gestion de déterminer s’il y a lieu de procéder à une actualisation du prix de vente en considérant le différé de paiement lié à la mise sous séquestre (paiement éloigné et non productif d’intérêts). A cet égard, il est rappelé qu’en régime LUX GAAP, le principe de nominalisme monétaire prévaut généralement (cf. : Q&A CNC 20/021) et, en conséquence, les montants à recevoir ne font que rarement l’objet d’une actualisation.
7 Alternativement, il apparaît également possible de comptabiliser la plus-value pour un montant de EUR 15 millions (soit EUR 75 millions de prix de vente moins EUR 60 millions de coût d’achat) et de comptabiliser en parallèle une correction de valeur de EUR 10 millions sur la créance correspondant au montant du prix de vente mis sous séquestre. A noter que si la présentation au compte de profits et pertes de l’exercice N+1 s’en trouverait modifiée, l’impact net de l’opération sur le résultat de l’exercice N+1 serait inchangé soit un montant net créditeur de EUR 5 millions (EUR 15 millions de plus-value de cession moins EUR 10 millions de correction de valeur sur créance). La valeur comptable de la créance devrait être revue lors de chaque clôture successive.
8 En pareil cas, le montant de la plus-value de cession correspond à la différence entre le prix de vente de EUR 75 millions et le coût d’achat de EUR 60 millions. Quant au montant mis sous séquestre, il apparaît au bilan en fin d’exercice N+1 sous un poste de créance à recevoir pour un montant recouvrable de EUR 10 millions. La recouvrabilité de cette créance devrait être revue lors de chaque clôture successive jusqu’à libération partielle ou totale du montant mis sous séquestre.
9 Alternativement, il apparaît également possible de comptabiliser la plus-value pour un montant de EUR 15 millions (soit EUR 75 millions de prix de vente moins EUR 60 millions de coût d’achat) et de comptabiliser en parallèle une correction de valeur de EUR 3,5 millions sur la créance de EUR 10 millions correspondant au montant du prix de vente mis sous séquestre. La créance apparaîtrait alors au bilan en fin d’exercice N+1 pour un montant net de EUR 6,5 millions (soit EUR 10 millions moins EUR 3,5 millions). A noter que si la présentation au compte de profits et pertes de l’exercice N+1 s’en trouverait modifiée, l’impact net de l’opération sur le résultat de l’exercice N+1 serait inchangé soit un montant net créditeur de EUR 11,5 millions (EUR 15 millions de plus-value de cession moins EUR 3,5 millions de correction de valeur sur créance). La recouvrabilité de cette créance devrait être revue lors de chaque clôture successive jusqu’à libération partielle ou totale du montant mis sous séquestre.